Grâce à ces interventions, vous pouvez avec votre technicien sculpter le son de votre piano au gré de vos aspirations tel un orfèvre qui de son talent fait d’une pierre brute un joyau éclatant.
Le travail premier du technicien réside dans la compréhension des désirs du musicien pour qui il est extrêmement difficile de verbaliser avec précision et sans métaphore son ressenti et ses volontés.
Cette étape demande au technicien une véritable culture des timbres, un savoir-musicien, un savoir-faire et aussi un savoir-dire qui lui permettront à travers les gestes adéquats d’obtenir la parfaite adéquation entre la demande de l’instrumentiste et le résultat final.
Techniquement parlant, le technicien commencera par un pré-réglage du clavier et terminera par les éléments mécaniques, ayant vérifié, alésé, centré, équilibré, synchronisé une foule de pièces, la plupart en rotation les unes dans les autres et qui doivent chacune être précisément à leur place et respecter un déclenchement synchrone pour que l’ensemble fonctionne efficacement selon des normes constructeurs spécifiques à l’instrument. Une mécanique de piano n’est qu’une immense interaction entre des composants de bois, de métal, de feutre et de cuir ; de l’enfoncement à la chasse, du dosage de résistance de frottement des axes de marteaux au déclenchement des étouffoirs, rien n’est laissé au hasard dans les réglages qui précèdent le travail qui sera effectué sur les marteaux pour donner sa sonorité au piano.
Même si les pianos droits et les pianos à queue semblent très proches de conception générale, quelques différences de réglage existent entre les uns et les autres. En effet, contrairement à celle d’un piano droit, la projection sonore d’un piano à
queue est plus puissante et plus précise en raison de la longueur des cordes et de la position horizontale de la structure harmonique. La mécanique y développe, grâce à son système de double échappement, un mouvement plus naturel, mais aussi plus complexe.
Au final, le résultat fera autant intervenir le respect de cotes standardisées que les sensations du technicien désireux de respecter la volonté du musicien.
1ʳᵉ étape : la mise en tension
Traditionnellement, le technicien engage son réglage par une mise en tension des cordes pour permettre d’équilibrer l’énorme tension globale de l’instrument, comprise entre 15 et 20 tonnes. Puis, il effectue un accord précis du piano pour en apprécier toutes les qualités et s’assurer de sa stabilité. C’est l’occasion pour lui, à partir du résultat obtenu, de recueillir vos suggestions quant à la dynamique du son et les couleurs qui vous conviendraient le mieux. La qualité de l’accord est primordiale pour permettre une harmonisation dans les meilleures conditions.
2ᵉ étape : nettoyage et pré-réglage
La deuxième étape comporte un pré-réglage approfondi de la mécanique. Au préalable, le technicien effectue un nettoyage complet de l’instrument, si nécessaire. La poussière peut entraîner des dysfonctionnements mécaniques et sonores, altérer le toucher et provoquer des usures prématurées, notamment sur les cordes. Il nettoie le nez de la noix, souvent marqué et noirci par celle-ci. Il re-graphite, si besoin, les bâtons d’échappement, les pilotes, le nez du chevalet qui doivent être parfaits. Il nettoie les feutres des marteaux, si nécessaire, en ponçant légèrement les joues et les points de frappe à l’aide d’un papier de verre très peu abrasif (+/-400) ; cela permet de casser la fibre et de redonner de l’élasticité au feutre. Sur les pianos à queue, le châssis, la mécanique et le clavier ne forment qu’un seul bloc que le technicien va devoir sortir du piano à de très nombreuses reprises, lors des réglages et des harmonisations. Pour cette raison, il est indispensable que le plateau qui reçoit le bloc mécanique-clavier soit parfaitement propre et lisse. Le technicien veille donc à le nettoyer, le poncer légèrement pour ensuite y appliquer une couche de talc qui facilitera les va-et-vient de la mécanique. Il nettoie aussi les rouleaux, pièces situées sous le manche de marteaux. Commence alors le pré-réglage proprement dit. Le technicien débute celui-ci par le clavier sur lequel il procède à la vérification des jeux de mortaises d’enfoncement et de balancier afin d’éviter aux touches des mouvements latéraux trop importants ou au contraire des blocages éventuels. Si besoin, les trous de balancier sont alésés, afin de permettre un mouvement plus fluide du balancement de chaque note. Puis la mécanique est sortie du piano. Le technicien veille à laisser un jeu de 2 mm du bout du bâton d’échappement au nez de la noix pour permettre une plus grande fluidité dans la répétition de la note. Il vérifie la tension et le bon fonctionnement de chaque ressort (étouffoirs, chevalets, noix du marteau, etc.). Les axes de chaque pièce mécanique sont analysés et lubrifiés pour éviter claquement et instabilité. Une fois la mécanique repositionnée dans le piano, le parallélisme et le fauchage seront vérifiés, de même que la position des attrapes par rapport aux contre-attrapes, ainsi que celle des « queues de cochon ».
Intervient ensuite la « mise sur les cordes » des marteaux en vérifiant la planitude du point de frappe. Pour cela, le technicien applique le marteau sur les cordes puis pince celles-ci pour en libérer les harmoniques. La planitude est correcte lorsque les différentes cordes de chaque note sont étouffées de manière identique. Ces opérations de pré-réglage permettent de préparer le piano dans les meilleures conditions pour le réglage dont la régularité est déterminante. En effet, la mécanique joue le rôle de transformation de l’énergie du doigt en intensité sonore et impose des sollicitations variées en qualité et en intensité aux marteaux lorsqu’ils touchent les cordes. Pour un fonctionnement parfaitement homogène de ces aspects techniques, une régularité rigoureuse est indispensable.
3ᵉ étape : le réglage complet
Le technicien commence par la « mise sous le nez ». Cette opération consiste à vérifier le contact de la touche avec la mécanique par l’intermédiaire de la pièce appelée le « pilote »ou le « nez ». Cette opération permettra un toucher
uniforme et franc et évitera les retards d’action de la mécanique ou les touchers trop lents et imprécis. C’est aussi l’élément prédéterminant au réglage de la «chasse» (distance entre le marteau et les cordes) qui va permettre de donner la course nécessaire au marteau pour un fonctionnement optimal. Pour continuer ces opérations, il est nécessaire de rechercher et d’appliquer les cotes du constructeur de l’instrument, nécessaires dans toutes les étapes de réglage, sur l’ensemble du clavier et de la mécanique.Le technicien va ensuite, grâce au « dressage de clavier », déterminer à l’aide de guides, la hauteur des touches blanches et noires. Cette opération qui nécessite une précision allant au 100ᵉ de mm près rendra le clavier le plus droit possible ou, selon la demande, légèrement bombé dans les médiums (ce bombage peut être effectué si le pianiste estime qu’il joue beaucoup plus dans les médiums, car cela maintient davantage le réglage du niveau). Il vérifie aussi les jours des touches, s’assurant de la bonne régularité des espacements entre les notes pour éviter les frottements et l’usure prématurée des casimirs de mortaises. Après avoir réglé le niveau de hauteur et de planitude du clavier, le technicien va s’intéresser à son niveau d’enfoncement, réglage déterminant pour la qualité de la nuance. Chaque touche sera réglée avec précision grâce à des mouches dites « d’enfoncement », d’épaisseurs diverses (de 0.1 À 2 mm). L’opération suivante consiste à régler la répétition de la note ou plus communément « l’échappement ». Les cotes utilisées pour ce réglage sont très précises et peuvent varier en fonction de nombreux paramètres (le marteau doit généralement échapper entre 1.5 À 3 mm de la corde).
Là encore, une remarquable précision est indispensable pour un résultat optimum et homogène. La plupart des constructeurs font varier ces paramètres des basses aux aigus (ex.: Dans les basses : 3 mm, les médiums : 2 mm, les aigus 1.5 mm). «L’attrapée» est ensuite effectuée. Le principe est simple : lorsqu’un piano frappe ses cordes, la force de la frappe le renvoie en arrière très violemment. Afin de lui éviter de rebondir, il est impératif de le bloquer (ou de l’attraper en quelque sorte) dans une position propice à un nouveau départ rapide. Pour cela, le technicien va bloquer le marteau à 15 mm du plan de cordes après lui avoir fait subir une percussion assez vive. Cette dernière opération effectuée, le piano retrouve alors pour la première fois des conditions optimales d’utilisation. Il reste alors une étape importante, le réglage des étouffoirs. Celui-ci se découpe en deux parties : le départ collectif et le départ individuel. Le départ collectif des étouffoirs permettra, lorsque l’on actionne la pédale de droite, dite pédale forte, un soulèvement et un repositionnement synchrones de tous les étouffoirs. Le départ individuel permettra à chaque étouffoir de libérer les cordes exactement au même niveau d’enfoncement pour toutes les touches. Ce réglage est parfois utilisé pour modifier subtilement le poids du clavier, en retardant ou en avançant le départ de l’étouffoir afin d’amoindrir ou au contraire d’accentuer l’effort à fournir pour l’enfoncement de la touche et la mise en action de l’étouffoir. Le technicien termine cette session par le réglage des pédales, la pédale douce, la sourdine (ou tonale pour les pianos à queue) et la pédale forte.
Pour les pianos à queue, toutes ces opérations se font dans un ordre différent et l’on peut compter quelques réglages supplémentaires. En premier lieu, le technicien règle les dômes de châssis, partie sur laquelle sont montés le clavier et la mécanique. Cela consiste à faire porter le bloc châssis / mécanique / clavier sur l’ensemble du plateau qui le reçoit de manière à répartir les tensions et éviter les claquements. En général, on distingue cinq dômes répartis des basses aux aigus. puis intervient le réglage du niveau de clavier, la chasse, la position des bâtons d’échappement par rapport aux rouleaux, la position du levier supérieur par rapport au bâton d’échappement, puis l’enfoncement des touches blanches et noires. Le technicien effectue ensuite le réglage de la tension des ressorts, opération primordiale, car elle influence la dynamique d’attaque de la note et le réglage de l’attrapée.
Pour réaliser une partie de ces différentes étapes, la mécanique doit être positionnée le plus souvent possible sur le plateau de l’instrument pour respecter sa forme générale qui n’est pas forcément plane. Enfin interviennent les réglages du départ individuel et du départ collectif des étouffoirs qui, contrairement au piano droit, se font en même temps. Le système de pédalier d’un piano à queue n’est pas totalement identique à celui d’un piano droit. La pédale douce (autrement appelée pédale piano ou pédale unacorda) fonctionne en décalant la mécanique vers la droite pour que les marteaux ne frappent plus que deux cordes (sur un piano droit, la pédale douce avance l’ensemble des marteaux plus près des cordes afin de limiter l’impact de la frappe sur la corde). La pédale tonale se règle par une barre de retenue des étouffoirs au fond du plateau.
4ᵉ étape : l’harmonisation
Cette quatrième phase est exclusivement consacrée au son.
Elle est donc généralement précédée d’un accord complet, afin de percevoir les subtilités acoustiques de l’instrument sans qu’aucun battement de fréquence indésirable dû à une mauvaise tension d’une ou plusieurs cordes ne vienne perturber l’écoute du technicien. Le marteau est la base même du développement acoustique du piano. La forme, la densité et la qualité de son feutre créent une différence extrêmement notable entre les instruments. C’est la raison pour laquelle d’une marque à une autre et parfois même d’un piano à un autre, de modèle identique, les différences de tessiture sont si notables. Le feutre de marteau est un produit naturel, issu de laine de mouton. Il est par définition impossible d’obtenir une homogénéité de production d’un jeu de marteaux à un autre, ce qui rendra indispensable et ô combien déterminante la prestation du technicien chargé d’harmoniser le piano. À sa fabrication le feutre est collé, plié autour de l’âme du marteau, sorte de noyau en bois dont la forme est plus ou moins affiné suivant le niveau de la note sur le clavier (les marteaux des notes basses sont beaucoup plus épais que ceux des notes aiguës, très effilés) puis agrafé pour garantir un solide maintien et soumis à une importante pression afin de comprimer l’intérieur (la partie centrale) et tendre l’extérieur (sa couronne). La densité du feutre doit être graduelle, dure en son milieu et plus souple vers la surface tendue. Cette synergie, tension et compression, donne au piano ses caractéristiques sonores, crée l’élasticité indispensable à la qualité du timbre et retarde l’aplatissement du point de frappe. plus la surface de contact est réduite, plus le son est harmonieux. aplati, le marteau transmet son énergie de façon différente et modifie notablement les qualités de la frappe.
Pré-harmonisation et harmonisation
Ces opérations de pré-harmonisation et d’harmonisation sont donc primordiales évidemment pour un piano ayant déjà joué, dont le feutre des marteaux aura subi les outrages des percussions répétées sur les cordes, mais aussi pour un piano neuf, vierge de tout jeu, qu’il conviendra de façonner selon des critères aussi variés que l’acoustique de la pièce qui le recevra, les conditions thermiques et hygrométriques de la région d’accueil et enfin le goût acoustique du pianiste.
Les pianistes, profanes ou aguerris, soupçonnent rarement l’impact et le potentiel de cette prestation. Sans pour autant modifier radicalement la personnalité du piano sous peine de la dénaturer, elle permet néanmoins des variations de timbre assez importantes, propres à combler le besoin et l’envie du joueur et permet à l’instrument d’offrir une qualité sonore bien meilleure. C’est la raison pour laquelle il convient de faire intervenir un technicien pour le réglage complet et une harmonisation au minimum tous les cinq ans.
A – Pré-harmonisation
On a procédé au cours des réglages au positionnement des marteaux pour assurer une frappe idoine et répartie sur les cordes en leur centre et à plat. Il convient d’aborder maintenant les véritables travaux de pré-harmonisation : portée des marteaux sur les cordes, planitude des cordes, ponçage, voire imprégnation, égalisation. En fait, au fil des heures de jeu, les têtes de marteaux se tassent, particulièrement à leur point d’impact, au contact des cordes qui en tranchent le feutre. Si le piano est resté déréglé un certain temps, un tassement désordonné pourra même générer une déformation de la forme du feutre. Quelle que soit la situation, le son aura perdu en profondeur et en richesse harmonique pour faire place à des sonorités clinquantes, percussives et claires. En un mot, le néophyte dit que son piano est « aigu » ou « métallique » et ne reconnaît plus les qualités initiales de son instrument. Tout l’art du technicien va résider dans sa haute compétence technique et son sens de l’esthétique pour donner ou redonner au piano toutes les qualités sonores dont il est intrinsèquement pourvu. Tout d’abord, il va donner à chaque tête de marteau une belle forme d’olive en prenant soin de ne pas casser le fil de la fibre et ne pas enlever trop de matière tout en laissant, si elles sont intéressantes, une partie des lignes creusées au point d’impact avec les cordes. Ce n’est qu’après que s’effectue le ponçage par remodelage de la texture pour égaliser. Il influence de beaucoup la perception de hauteur de son et affecte par ailleurs la structure harmonique du timbre. Quand la densité change, le son change. Aussi, on veillera à choisir, selon
l’opération et l’état des feutres, la granulométrie adéquate du papier à poncer. Selon le grain choisi, le résultat pourra différer de façon très notoire. Il est prépondérant de poncer en respectant le sens de collage du feutre de marteau autour de l’âme et de ne pas en casser le fil. En théorie, plus la forme du marteau est pointue moins le feutre absorbera de vibrations néfastes et plus il restituera de sons aigus. Plus elle est arrondie et plus il absorbera les vibrations néfastes et, en conséquence, éliminera les sons aigus. Cependant, la forme du marteau ne peut être dissociée de la densité du feutre de marteau pour évaluer le résultat acoustique. Le technicien va ensuite vérifier la planitude du plan de cordes. Chaque marteau frappe sur 3 cordes différentes, qui doivent être rigoureusement au même niveau (dans la partie médium-basse du clavier, le marteau frappe seulement sur 2 cordes puis sur 1 corde dans les extrêmes basses).
Pour cela, il libère les étouffoirs, applique le marteau sur les cordes et pince celles-ci une à une pour vérifier que les harmoniques de chacune d’elles sont égales. Si l’une des cordes émet une harmonique plus étouffée que les autres, c’est qu’elle est trop basse par rapport au plan de corde. Avec un crochet à corde, le technicien va alors modifier la planitude de la corde en la tirant au niveau de l’agrafe ou du sillet afin de la positionner sur le même plan que les autres. L’unisson une fois raccordé, la planitude sera vérifiée et retouchée si besoin jusqu’à obtention d’un résultat parfait. Cette opération est rééditée pour les 87 autres notes. L’opération suivante consiste à égaliser le son, c’est-à-dire à vérifier que chaque marteau produit un son identique sur les 2 ou 3 cordes qu’il frappe. Avant toute chose, il est nécessaire de réaccorder une fois de plus le piano pour être le plus précis possible sur la direction à donner au son. Pour égaliser un piano, il faut donc vérifier que la densité du feutre des marteaux est bien répartie sur l’ensemble du point de frappe, il faut isoler chacune des cordes de chaque note pour déceler si le son est identique d’une corde à une autre de la même note. Si tel n’est pas le cas, le technicien va, à l’aide d’un «pique marteaux», modifier la densité du feutre en exerçant un léger piquage sur les joues et le point de frappe du marteau. cette opération est longue et fastidieuse, mais elle assure un rendu harmonique homogène et surtout supprime les émissions parasites. Elle permet enfin d’aborder l’ultime étape de réglage de la sonorité d’un piano : l’harmonisation.
B – Harmonisation
Cette opération ne doit se pratiquer que dans l’environnement dans lequel l’instrument sera définitivement exposé et impérativement après un nombre d’heures de jeu minimum variant selon la marque de l’instrument, le niveau et le toucher du pianiste. C’est pourquoi, un technicien agréé est le mieux habilité, si vous n’êtes pas expérimenté, à vous indiquer le moment idéal pour la réaliser. Il est de plus indispensable de respecter la personnalité générale d’un instrument et pour cela de suivre un schéma harmonique très rigoureux pour chaque facture. L’égalisation a permis d’assurer l’homogénéité du point de frappe de chaque marteau indépendamment des autres. L’harmonisation va donc permettre d’une part de rendre cohérente la sonorité produite par les 88 marteaux du piano, mais aussi de donner son timbre définitif au piano en augmentant ou en diminuant son spectre sonore et sa capacité à remplir l’espace selon plusieurs critères tels que l’environnement sonore, l’évolution de l’instrument depuis sa mise en place et surtout le souhait du pianiste. Comme pour l’égalisation, un accord préalable est indispensable à une écoute parfaite et indispensable à cette étape déterminante. Le technicien « accordeur » ou « toneur » doit déceler et traduire au plus juste les distorsions afin de permettre au pianiste d’exercer pleinement un contrôle sur les sons, le mettre si possible au contact d’une matière sonore plus dense qui lui donnera accès à un vocabulaire encore plus étendu. il effectue d’abord des piquages successifs très précis à des profondeurs adéquates pour atteindre là où il faut certaines couches de feutre dans les zones propres aux résultats escomptés : dynamique, rondeur, clarté, etc. Le piquage sert à assouplir l’assise et régler la densité du point de frappe. Il rend le feutre plus élastique, ce qui a pour effet d’égaliser le volume sonore et de maintenir l’équilibre et la qualité du son produit. L’effet voulu est de garder la dureté extérieure et l’élasticité en profondeur. C’est grâce au pique-marteaux et à ses aiguilles que le toneur opère cette transformation sonore. il pique le plus souvent les joues. Chaque intensité ou nuance sonore implique un piquage du feutre plus ou moins profond pour chaque partie du feutre ; faible piquage vers la tête pour le jeu « piano » en préservant un secteur non piqué au point de frappe, un peu plus profondément dans la partie du jeu « mezzo » et plus profondément encore pour la partie plus basse en jeu « forte » et pour la tension générale. Il faut veiller à piquer le même nombre de fois chaque côté de marteau. Une grande prudence est à respecter avec les aiguilles : il faut piquer juste, jamais trop, car l’opération comporte un côté irréversible.
L’impératif est de laisser le son s’épanouir, s’étaler sur la table d’harmonie. Si le feutre est tendre la zone de compression sera plus grande et l’accord sera d’autant plus stable. Si en revanche, le feutre est trop dur, il risque de faire détoner plus rapidement l’accord du piano. Le geste a son importance. En effet, le fait de piquer sèchement ou délicatement, tout comme la profondeur du piquage jouent sur la projection du son. L’erreur n’est pas de mise puisqu’elle n’est pas réparable. Un coup
d’aiguille en trop peut opérer un déséquilibre notable et irrattrapable. Tout au long de cette opération, le technicien remettra maintes et maintes fois la mécanique dans le piano afin de vérifier l’avancée de son travail, d’en évaluer les failles et d’y remédier par petites touches délicates. Lorsque cette opération longue et minutieuse sera terminée, le piano aura pratiquement atteint sa sonorité définitive.
5ᵉ et dernière étape : accord de finition restera la cinquième étape que peu de techniciens savent exploiter pour finaliser leur harmonisation : l’accord.
En effet, cette dernière étape qui ne devrait avoir pour fonction que la vérification de la justesse de l’instrument peut avoir selon les cas une importance fondamentale. Le technicien de talent usera de son goût et de son expérience pour faire « chanter » le piano en travaillant en particulier les unissons ou même en « montant » un peu les aigus pour leur donner plus de couleur, c’est-à-dire qu’il va tirer les cordes très légèrement au-dessus de la justesse afin de donner plus de relief à son accord. Le technicien de « haut vol » utilisera l’accord pour finir son harmonisation en calant les chevilles de telle façon qu’il palliera à certaines imperfections que seules des oreilles aiguisées entendent et qui ne peuvent être rattrapées ni au réglage, ni au ponçage ou au piquage. Enfin, lorsque le pianiste posera de nouveau les mains sur le piano, le clavier dressé à la perfection, la mécanique réglée avec la plus grande précision, les têtes de marteaux travaillées en forme, en densité et en dynamique avec une vraie technicité, et l’accord réalisé pour le faire sonner au gré de sa sensibilité, il fera corps peut-être pour la première fois avec son instrument, sentant sous ses doigts une réactivité immédiate, une rapidité absolue et des nuances d’une extrême précision. Il éprouvera un confort de jeu tel que la perception qu’il aura des capacités et des qualités sonores de son piano en sera décuplée. Toute la richesse harmonique, l’étendue du spectre, la beauté des unissons, la profondeur des basses, la générosité des médiums, la longueur des aigus, l’homogénéité de la couleur sonore, les nuances pp, ff… Tout ce qui fait le caractère d’un piano sera alors au service de l’interprète qui verra ses qualités de jeu, techniques et émotionnelles, littéralement transcendées.
Combien de pianos plus ou moins âgés, au potentiel sublime, mais caché, manquent ainsi d’être optimisés grâce à un réglage complet et une harmonisation… Leurs propriétaires pensent sûrement que leur instrument est devenu vieux et dépassé, se contentant alors d’une mécanique imprécise et d’un rendu sonore approximatif alors qu’il suffirait dans bien des cas qu’un technicien chevronné lui consacre quelques heures pour lui redonner toutes ses qualités enfouies. Ces réglages de qualité ne sont réservés ni aux sublimes pianos ni aux pianistes très doués. Des instruments et des pianistes plus modestes doivent impérativement et régulièrement profiter de la perfection que permettent un réglage et une harmonisation de qualité.
Ces opérations sont en réalité tout simplement indissociables des seules qualités intrinsèques du piano, aussi élevées soient-elles, et génèrent le bonheur le plus absolu pour un pianiste : l’osmose avec son instrument.